Une personne s’agite en pleine eau, gagnée par la panique. Instinctivement, tu veux plonger pour la secourir. Pourtant, chaque sauveteur formé le sait : face à une personne en détresse, le vrai danger c’est qu’elle entraîne son sauveteur dans sa noyade. Prise de panique, la personne peut s’agripper et tirer vers le bas celui qui voulait l’aider. Ainsi, ce qui devait être un geste de secours peut mettre deux vies en danger.

Ce scénario décrit un piège fréquent : vouloir sauver coûte que coûte. On parle en psychologie du syndrome du sauveur : ce besoin de prendre en charge les problèmes des autres, de se rendre indispensable, parfois au point de s’épuiser et de se perdre. Cet élan naît souvent d’une peur de décevoir, d’une quête d’approbation ou de l’idée que notre valeur dépend de ce que l’on donne.

On le voit, par exemple, lorsqu’une amie traverse une période d’anxiété. Tu l’écoutes, la rassures, réponds à ses messages tard le soir. Progressivement, tu y penses tout le temps : tu dors moins, tu portes son anxiété, et elle semble paradoxalement perdre confiance en elle. Sa détresse se met à circuler. C’est ce que les psychologues appellent la contagion émotionnelle : l’émotion de l’autre devient la tienne.

Le même mécanisme se retrouve au travail. Tu deviens la personne à qui l’on confie frustrations, urgences, tâches invisibles. On vient te voir « parce que tu comprends ». Alors tu restes plus tard, tu compenses, tu absorbes. Et, peu à peu, tu te rends compte que tu soutiens l’équipe à toi seul — souvent sans que personne ne le voie. Avec le temps, cette posture use la clarté intérieure, diminue la disponibilité, réduit la capacité de recul.

Et ce qui vaut dans l’eau vaut aussi dans la vie : donner ne peut être juste que si l’on reste ancré en soi.

Les sauveteurs professionnels ne se précipitent jamais sans préparation. Ils s’assurent d’abord de leur propre stabilité : ils lancent une bouée, tendent une perche, approchent avec une embarcation. Dans la relation d’aide, cela revient à installer un cadre : une présence engagée, mais aussi des limites claires.

Certaines pratiques permettent justement de préserver cet équilibre. Nommer ses limites, simplement, pour maintenir la relation vivante : « Je veux t’aider, mais j’ai aussi besoin de me ressourcer. » Rediriger vers des ressources professionnelles au besoin. Encourager l’autre à mobiliser ses propres ressources, en posant des questions qui ouvrent plutôt qu’en répondant à sa place : « Qu’est-ce qui pourrait t’apaiser maintenant ? »

Il est tout aussi important d’apprendre à sentir quand l’on commence à se disperser intérieurement : lorsque l’esprit n’est jamais vraiment au repos, que la patience s’épuise, que l’on se surprend à s’effacer pour maintenir l’harmonie.

Comme le rappelle Galilée :

« On ne peut rien enseigner à autrui. On ne peut que l’aider à le découvrir lui-même. »

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